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Recension : Alice Krieg-Planque, "Analyser les discours institutionnels", Armand Colin, Collection ICOM, Paris, 2012, 238p. ISBN : 978-2-200-27862-5.

Yeny Serrano - Université de Strasbourg / LISEC

Pour celles et ceux qui, sans être linguistes, sont confrontés à la production et à l’étude de textes, cet ouvrage s’avèrera particulièrement utile. Pensé comme un guide destiné aux étudiant(e)s de différentes disciplines, ce livre a pour objectif d’appréhender la dimension discursive des institutions : partis politiques, associations, organisations publiques ou privées. L’auteure, Alice Krieg-Planque, docteure en sciences du langage et maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication, présente un ensemble d’outils et de notions propres à l’analyse du discours (AD). Ces derniers permettent de saisir et d’identifier les éléments pertinents d’un énoncé à l’intérieur d’un texte, d’un document institutionnel, d’un discours politique. Il s’agit ainsi d’attirer l’attention des lecteurs sur certains phénomènes discursifs et sur certains usages sociaux des textes pour qu’ils acquièrent des pratiques de lecture, d’observation et d’écoute leur permettant de dégager certains éléments saillants des textes.

L’ouvrage est organisé en six chapitres et propose de nombreux exemples tirés de discours de diverses institutions. Pour chaque phénomène discursif traité et chaque notion présentée, l’auteure donne des références et des recommandations bibliographiques afin que les lecteurs approfondissent le(s) sujet(s) qui les intéresse(nt).

Le chapitre 1 pose les fondements de l’analyse du discours et précise la manière dont cette discipline appréhende le discours, son objet d’étude. En effet, pour les analystes du discours, le discours est au cœur de la vie politique et sociale. Que ce soit dans le domaine journalistique, politique ou social, les activités langagières tiennent un rôle essentiel : communiqués de presse, actes de candidature, tracts militants ou résolutions, pour ne citer que quelques exemples. En outre, pour cette discipline, le discours n’est pas un miroir ou un reflet d’autre chose ; le discours est lui-même une réalité. Dans les échanges, le discours ne révèle pas les tensions, il les crée. Le discours n’exprime pas le consensus, il s’efforce de le produire. C’est pour cette raison que l’analyse du discours n’établit pas de comparaison entre le « réel » et le « discours », mais propose plutôt d’étudier le réel du discours en contexte et en situation. Ainsi, la conception « transparentiste » du discours, selon laquelle le discours devrait permettre d’accéder à des intentions, des idées, des pensées, des images ou des représentations, est remise en cause. La démarche de l’AD consiste à produire un point de vue particulier sur le monde social, complémentaire à d’autres sciences humaines et sociales. De même, l’AD n’est pas prescriptive. Elle ne mesure pas non plus les influences du discours sur les opinions ou sur les comportements. Enfin, elle se distingue clairement de l’analyse de contenu. Cette méthode qui est pratiquée par de nombreux étudiant(e)s, notamment en sciences de la communication, consiste à identifier de quoi parle une production verbale, alors que l’analyse du discours s’intéresse davantage à comment cette production verbale est formulée.

En revenant sur les travaux menés en pragmatique, le chapitre 2 explique comment l’AD propose de reconsidérer le clivage souvent posé entre « discours » et « action », grâce à la notion d’« acte de langage ». Cette dernière permet de comprendre comment l’action s’effectue par le moyen du discours. En effet, certaines actions ne sont accomplies que par des moyens langagiers : je te promets…, je t’autorise… Au niveau institutionnel, des énoncés tels que l’audience est suspendue ou je suis candidat à la Présidence de la République sont capables de réaliser les actes de suspension d’audience et de candidature eux-mêmes (p.56), pourvu que les conditions d’énonciation, développées par l’auteure, soient bien évidemment remplies. Il y a également des énoncés, appelés « actes de langage indirects », qui sont interprétés comme des actions alors qu’ils semblent seulement décrire un état : l’énoncé j’ai faim peut être interprété comme une demande d’aide sous certaines conditions, par exemple si cet énoncé est écrit sur un morceau de carton à côté d’une personne dans la rue (p.65). Ainsi, l’AD peut chercher à identifier ce qui, dans une prise de parole ou la rédaction d’un document, est à même d’accomplir une action. On parlera alors de la « valeur illocutoire » d’un énoncé. La réalisation d’une action par des moyens langagiers dépend également de certaines conditions du contexte d’énonciation, comme par exemple l’identité ou le statut des locuteurs. À ce sujet, le chapitre souligne également les propriétés symboliques du langage liées à des effets de reconnaissance. Les notions d’« éthos » (image de soi que l’on produit par le discours, comme le fait d’avoir l’air honnête, p.71) et de « face » (image publique de soi telle que l’ensemble des participants à une interaction s’efforce de la co-produire, pp.65-66) sont ainsi introduites. À titre d’exemple, une administration, peut privilégier une certaine manière de s’adresser aux contribuables pour ménager leur face : votre paiement doit nous parvenir dès que possible, au lieu de dire : nous exigeons que le paiement soit effectué dans les plus brefs délais (p.66).

L’AD s’intéresse également aux pratiques discursives liées aux régularités et aux répétitions souvent constatées dans les discours politiques et institutionnels (langue de bois, jargon, clichés). Pour étudier ces phénomènes, le chapitre 3 propose des notions comme celle de « figement » ainsi que l’étude de phénomènes tels que la dénomination, les coocurrences, l’emploi de slogans ou de petites phrases. Par exemple, dans le domaine journalistique, la manière de nommer un événement ou un acteur social n’est pas sans conséquences sur la façon dont le réel s’effectue. Par exemple, alors que les défenseurs des droits de l’homme utilisent le mot vidéosurveillance, les industriels du secteur, eux, parlent de vidéoprotection (p.91). Que l’on favorise l’un ou l’autre, le soutien de la population peut varier, car on préférera une protection qu’une surveillance. L’auteure observe l’apparition de certaines routines, non seulement au niveau lexical ou discursif, mais également à travers des routines d’écriture que l’AD traite comme la problématique de genres. Repérer ces régularités, ainsi que les ruptures ou les transgressions, s’avère pertinent en analyse du discours car ces dernières sont socialement signifiantes. Dans ce chapitre, Alice Krieg-Planque introduit ses propres travaux sur la notion de « formule ». Cette dernière est pertinente pour analyser les discours médiatiques, politiques et institutionnels, notamment dans le cas de thèmes polémiques. Cette notion décrit et permet d’étudier un « ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à construire » (p.110). C’est le cas par exemple des formules démocratie participative, fracture sociale ou encore mondialisation que l’auteure donne en exemple.

Dans le chapitre 4, Alice Krieg-Planque rappelle que l’activité langagière n’est pas faite pour être toujours claire et univoque. En effet, en analyse du discours, les effets d’équivoque ne sont pas vus comme un problème à éviter, mais comme une ressource des locuteurs : les non-dits du discours, les implicites sont des pratiques discursives importantes dans la vie sociale et politique. À travers l’étude de deux formes d’implicite, le présupposé et le sous-entendu, le chapitre offre aux lecteurs des outils pour appréhender les énoncés susceptibles de produire des significations sans pour autant les présenter comme principales. La notion de présupposé est particulièrement fructueuse lorsque l’on s’intéresse aux discours institutionnels : en effet, les présupposés permettent de présenter une thèse comme étant soustraite à la contestation. Par exemple lorsqu’on dit Jacques n’habite plus à Paris, on présuppose que Jacques habitait à Paris : accepter comme vrai le posé (il n’habite plus à Paris) suppose que l’on accepte comme vrai le présupposé (il habitait à Paris avant) (p.132). Quant au sous-entendu, il permet de suggérer des thèses sans que celles-ci ne soient explicitées. La France est déjà dans une situation budgétaire extrêmement fragile : cet énoncé dit par le représentant d’une majorité politique fraîchement élue peut, entre autres, sous-entendre que l’ancienne majorité politique n’a pas bien fait son travail (p.146). À travers l’étude des présupposés et des sous-entendus, il est par exemple possible d’analyser les formulations des questions de sondages orientées, le caractère persuasif du discours publicitaire, les évidences idéologiques des discours partisans, etc. Par ailleurs, les implicites sont également un facteur de rassemblement, ils créent de la connivence entre locuteurs, facilitant ainsi le travail de persuasion. Ainsi, dans le domaine journalistique, les professionnels de l’information ne sont pas obligés de rappeler à chaque fois tous les éléments d’une affaire, lorsqu’ils souhaitent apporter un nouvel élément ou rapporter un fait récent.

Le chapitre 5 présente cette idée de l’ambiguïté, du flou et de l’équivoque comme des ressources qui sont à disposition des locuteurs. La notion d’« ouverture interprétative » est ainsi introduite. Cette notion met l’accent sur la capacité d’un énoncé à favoriser une pluralité d’interprétations possibles. Le chapitre aborde ainsi quelques phénomènes langagiers qui permettent de produire ces effets d’équivoque, comme par exemple les relatives appositives (ou explicatives) et les déterminatives, les pronoms personnels, les déterminants possessifs ou encore la concession et l’emploi des sigles. En effet, selon les lectures qui peuvent être faites d’un énoncé, le positionnement idéologique peut varier, comme dans l’exemple M. Barre se préoccupe des chômeurs qui cherchent un emploi. Si on lit qui cherchent un emploi, comme une relative déterminative, le fait de chercher un emploi est définitoire de la condition de chômeur. En revanche, si on le lit comme une relative appositive, la recherche d’emploi ne caractérise que certains chômeurs et c’est seulement à eux que s’intéresse M. Barre (pp. 163-164).

Le dernier chapitre de l’ouvrage s’intéresse au principe de « non-clôture des discours », selon lequel le discours n’est pas clos sur lui-même : les discours se répondent les uns aux autres, ils sont en relation avec des discours extérieurs. Un discours n’est pas celui d’un seul acteur, d’un seul lieu, d’une seule période. Ainsi, l’AD peut chercher à comprendre comment les discours se reconnaissent ou s’ignorent, s’accueillent ou se repoussent. En effet, par leur utilisation, certains mots sont connotés, ils ont déjà été dits et portent avec eux des enjeux ou des sens antérieurs. En utilisant ces mots, on peut alors s’approprier ces sens ou encore les rejeter. Certains mots permettent par exemple de signaler l’appartenance à un groupe ou l’adhésion à certains principes. Ainsi, bien que le référent soit le même, parler de « salariés » ou de « travailleurs » peut permettre à un locuteur d’indiquer un certain positionnement, en raison de l’utilisation de ces mots dans le passé. L’AD étudie ces phénomènes de reprise et de réfutation de certains discours à travers des notions telles que la « polyphonie », le « dialogisme » ou l’« interdiscours », présentées dans ce chapitre.

En conclusion, Alice Krieg-Planque rappelle l’objectif de l’ouvrage qui se veut un guide pour l’étude des discours. Pour cette raison, un choix éditorial a été fait, elle ne revient pas sur l’histoire de l’analyse du discours, le nom des auteurs dans le texte occupe une place secondaire et toutes les notions et catégories de l’AD ne sont pas traitées. Ces omissions sont largement comblées, à notre avis, par l’important travail de bibliographie qui est un complément indispensable de ce manuel. Une première partie de la bibliographie présente des références de base en analyse du discours, qui permettent d’approfondir les notions traitées dans l’ouvrage : dictionnaires d’analyse du discours, ouvrages de linguistique et de sciences du langage, manuels et ouvrages de méthode. Une deuxième partie propose un ensemble d’ouvrages de recherche sur des corpus particuliers et des terrains spécifiques, autrement dit, des applications de l’AD. Enfin, une liste de revues scientifiques est conseillée en tant que lieux de publication des recherches et travaux récents en AD.

En ce sens, ce livre n’est pas seulement un manuel utile pour des étudiant(e)s en sciences humaines et sociales, il s’avère également utile pour les membres d’ADAL qui, dans leurs recherches, sont confrontés à analyser des discours politiques ou médiatiques sans être nécessairement des analystes du discours de formation.

Pour citer cet article :
Référence électronique
SERRANO Yeny, 2013, « Alice KRIEG-PLANQUE, 2012, "Analyser les discours institutionnels" (Paris: Armand Colin, Collection ICOM) », ADAL : Analyse des discours de l'Amérique Latine [En ligne], mis en ligne le 30 juin 2013. URL : http://www.adalassociation.org/fr/documentation/98-recension/147-alice-krieg-planque-analyser-les-discours-institutionnels